martedì 22 marzo 2011

Coso

DESTIN. — C'est au moment même où, l'Histoire témoignant une fois de plus de sa liberté, les peuples colonisés commencent à démentir la fatalité de leur condition, que le vocabulaire bourgeois fait le plus grand usage du mot Destin. Comme l'honneur, le destin est un mana où l'on collecte pudiquement les déterminismes les plus sinistres de la colonisation. Le Destin, c'est pour la bourgeoisie, le truc ou le machin de l'Histoire.

Naturellement, le Destin n'existe que sous une forme liée. Ce n'est pas la conquête militaire qui a soumis l'Algérie à la France, c'est une conjonction opérée par la Providence qui a uni deux destins. La liaison est déclarée indissoluble dans le temps même où elle se dissout avec un éclat qui ne peut être caché.
Phraséologie : "Nous entendons, quant à nous, donner aux peuples dont le destin est lié au nôtre, une indépendance vraie dans l'association volontaire." (M. Pinay à l'ONU.)
[…]
GUERRE. — Le but est de nier la chose. On dispose pour cela de deux moyens : ou bien la nommer le moins possible (procédé le plus fréquent) ; ou bien lui donner le sens de son propre contraire (procédé plus retors, qui est à la base de presque toutes les mystifications du langage bourgeois). Guerre est alors employé dans le sens de paix et pacification dans le sens de guerre. Phraséologie: "La guerre n'empêche pas les mesures de pacification." (Général de Monsabert.) Entendez que la paix (officielle) n'empêche heureusement pas la guerre (réelle).
MISSION. — C'est le troisième mot mana. On peut y déposer tout ce qu'on veut : les écoles, l'électricité, le Coca-Cola, les opérations de police, les ratissages, les condamnations à mort, les camps de concentration, la liberté, la civilisation et la "présence" française.
Phraséologie: "Vous savez pourtant que la France a, en Afrique, une mission qu'elle est seule à pouvoir remplir." (M. Pinay à l'ONU.)
POLITIQUE. — La politique se voit assigner un domaine restreint. Il y a d'une part la France et d'autre part la politique. Les affaires d'Afrique du Nord, lorsqu'elles concernent la France, ne sont pas du domaine de la politique. Lorsque les choses deviennent graves, feignons de quitter la Politique pour la Nation. Pour les gens de droite, la Politique, c'est la Gauche : eux, c'est la France.
Phraséologie : "Vouloir défendre la communauté française et les vertus de la France, ce n'est pas faire de la politique." (Général Tricon-Dunois.)
Dans un sens contraire et accolé au mot conscience (politique de la conscience), le mot politique devient euphémique ; il signifie alors: sens pratique des réalités spirituelles, goût de la nuance qui permet à un chrétien de partir tranquillement "pacifier" l'Afrique.
Phraséologie : "... Refuser a priori le service dans une armée à destination africaine pour être sûr de ne pas se trouver dans une situation semblable (contredire un ordre inhumain), ce tolstoïsme abstrait ne se confond pas avec la politique de la conscience, parce qu'il n'est à aucun degré une politique." (Editorial dominicain de La Vie intellectuelle.)
Roland Barthes, Mythologies ["Grammaire africaine"], 1957, ora in Roland Barthes, Œuvres complètes, Paris , 1993, p. 648.

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On a pu lire dans l’un des premiers numéros de l’Express quotidien, une profession de foi critique (anonyme), qui était un superbe morceau de rhétorique balancée. L’idée en était que la critique ne doit être "ni un jeu de salon, ni un service municipal" ; entendez qu’elle ne doit être ni réactionnaire, ni communiste, ni gratuite, ni politique.
Il s’agit là d’une mécanique de la double exclusion qui relève en grande partie de cette rage numérique que nous avons déjà rencontrée plusieurs fois, et que j’ai cru pouvoir définir en gros comme un trait petit-bourgeois. On fait le compte des méthodes avec une balance, on en charge les plateaux, à volonté, de façon à pouvoir apparaître soi-même comme un arbitre impondérable doué d’une spiritualité idéale, et par là même juste, comme le fléau qui juge la pesée.
Les tares nécessaires à cette opération de comptabilité sont formées par la moralité des termes employés. Selon un procédé terroriste (n’échappe pas qui veut au terrorisme), on juge en même temps que l’on nomme, et le mot, lesté d’une culpabilité préalable, vient tout naturellement peser dans l’un des plateaux de la balance. Par exemple, on opposera la culture aux idéologies. La culture est un bien noble, universel, situé hors des partis pris sociaux : la culture ne pèse pas. Les idéologies sont, elles, des inventions partisanes : donc, à la balance ! On les renvoie dos à dos sous l’œil sévère de la culture (sans s’imaginer que la culture est tout de même, en fin de compte, une idéologie). Tout se passe comme s’il y avait d’un côté des mots lourds, des mots tarés (idéologie, catéchisme, militant), chargés d’alimenter le jeu infamant de la balance ; et de l’autre côté des mots légers, purs, immatériels, nobles par droit divin, sublimes au point d’échapper à la basse loi des nombres (aventure, passion, grandeur, vertu, honneur), des mots situés au-dessus de la triste computation des mensonges ; les seconds sont chargés de faire la morale aux premiers : d’un côté des mots criminels et de l’autre des mots justiciers. Bien entendu, cette belle morale du Tiers-Parti aboutit sûrement à une nouvelle dichotomie, tout aussi simpliste que celle qu’on voulait dénoncer au nom même de la complexité. C’est vrai, il se peut que notre monde soit alterné, mais soyez sur que c’est une scission sans Tribunal : pas de salut pour les Juges, eux aussi sont bel et bien embarqués.
Ibid. ["La critique ni-ni"], pp. 651-2.


2 commenti:

Oscar Amalfitano ha detto...

belli loro 2!

Stenelo ha detto...

Splendidi, non c'è dubbio. Ma in politica la bellezza non basta. Occorre anche intelligenza, tempismo e senso della misura.